Anthony DOERR (Etats-Unis)

Quel étonnant recueil de nouvelles que celui-ci ! Six le composent et elles sont de longueur plus que variable. Chacune s'attache à définir et faire revivre la mémoire à travers des personnages jeunes ou vieux et campés aux quatre coins du monde. Ce qu'on peut dire c'est qu'Anthony Doerr a su donner à la mémoire différentes formes pour un intérêt renouvelé au fil des histoires.

Dans la première nouvelle - éponyme -, Alma, vieille dame qui perd la mémoire, se fait implanter des souvenirs pour ralentir le processus d'oubli. En se replongeant dans son passé, elle peut ainsi rester connectée à cette réalité qui semble vouloir lui échapper. Cela flirte avec le fantastique mais l'idée de revivre des moments agréables a de quoi charmer. Cette nouvelle, longue - 108 pages -, est fascinante car elle réussit à alterner avec brio retour aux souvenirs et présent irréfutable.

A l'heure où j'attends de devenir une tante heureuse, la nouvelle Engendrer, créer a eu une parfaite résonance en moi. Le parcours décrit de ce couple qui vit en accéléré des moments forts de doutes, d'échecs, de désillusions met en branle les convictions d'un avenir. Bien que la nouvelle soit assez courte, j'ai beaucoup aimé cette mémoire inscrite en duo.

Bien que le sujet de la mémoire - qui s'échappe ou devient appui inébranlable d'un temps passé - soit intrigant tout autant que passionnant pour moi, mon intérêt pour le recueil a été en dents de scie. Soit j'ai été captivée et "obligée" d'enfiler les pages lorsque les nouvelles me plaisaient, soit j'étais totalement hermétique voire réfractaire à l'idée d'en poursuivre certaines.
Au bénéfice d'Anthony Doerr, je dois reconnaitre un talent indéniable de conteur et une plume poétique et empreinte d'une certaine mélancolie. Je crois que, pour le coup, j'ai davantage envie de connaître l'auteur au travers d'un roman pour apprendre à l'apprécier sur la longueur.

4/5

(Albin Michel, 624 pages)

Les destins croisés de Marie-Laure, jeune aveugle ayant fuit Paris en 1940 pour se réfugier avec son père à Saint Malo chez un oncle éloigné; et celui de Werner jeune Allemand rêvant de devenir Ingénieur afin de fuir sa destinée toute tracée de mineur. Tous deux vont se retrouver dans le Saint Malo en ruine de 1944, bombardé par les forces Alliés. 

J'ai fini ce roman il y a une semaine mais celui-ci reste encore gravé dans ma mémoire. Rarement il m'aura été donné de lire une histoire aussi prenante. L'écriture est très belle; elle nous transcende jusque dans les tréfonds de l'âme et, à travers sa galerie de personnages, nous emmène dans un tourbillon d'émotions. Les mots de Doerr décrivent avec justesse les doutes, les peurs d'une jeune fille aveugle livrée à elle-même auprès d'un oncle rescapé de la Grande Guerre. Marie-Laure ne revit que lors de ses excursions secrètes près des remparts de Saint Malo où elle s'extasie devant les mollusques et autres créatures marines toutes plus fascinantes les unes que les autres à ses yeux. Werner, lui, découvre le système nazi avec son embrigadement, sa violence, son endoctrinement. Se rebellant, il est envoyé sur le front de l'Est où ses talents scientifiques sont utilisés pour traquer les résistants.

Les chapitres, courts, passent d'un personnage à l'autre, à travers les époques et les lieux. On ressent véritablement l'atmosphère de l'époque, celle de la guerre avec ses lâchetés, ses horreurs, ses moments héroïques aussi. Marie-Laure et Werner ne sont que deux enfants tentant de survivre dans cet enfer ambiant. Ode à la technique (l'avènement de la radio et ses télétransmissions) mais aussi à la nature (le Museum d'Histoire Naturelle et ses mondes marins, magnifiquement décris aussi via la lecture de Vingt Mille lieux sous les mers de Jules Verne), Toute la lumière que nous ne pouvons voir est un roman étincelant, avec comme musique de fond Clair de Lune de Debussy. Un récit impossible à lâcher, avec un superbe dénouement. 

Lauréat du prix Pulitzer en 2015, une adaptation en mini série Netflix est prévue pour fin 2023.