Littérature canadienne - Article

From: Mousseliine (Original Message) Sent: 5/10/2007 9:44 AM
Un article qui date, mais c'est justement ce qui en fait l'intérêt :

Le Devoir
Éditorial, jeudi 25 septembre 1997, p. A6
L'âge d'or de la littérature canadienne-anglaise

Fraser, Graham

Il y a dix ans, le critique littéraire canadien John Metcalf écrivait, avec un humour maussade, que la littérature canadienne-anglaise était peu lue. «Si vous choisissiez quelqu'un dans la rue, il y aurait autant de chances qu'il souffre du sida qu'il ait acheté un roman canadien au cours de l'année.»

Il avait tort, bien sûr, même il y a dix ans. Mais il est certain que la littérature canadienne évolue lentement. Après la Seconde Guerre mondiale, il y eut Hugh Maclennan et Morley Callaghan; dans les années 60 et 70, il y eut ceux que le critique torontois Robert Fulford avait surnommés «les quatre grands»: Robertson Davies, Margaret Atwood, Mordecai Richler (eh oui, le même), et Margaret Lawrence. Généralement, le hasard voulait qu'au moins l'un d'eux publie un livre avant Noël, faisant le bonheur du petit nombre de lecteurs friands de fiction canadienne-anglaise.

Mais cela est du passé. Maintenant, on n'arrive plus à lire dans une saison littéraire tous les romans de qualité qui sont lancés à Toronto. Depuis quelques années, c'est l'âge d'or d'une littérature canadienne-anglaise florissante.

L'an dernier, il y a eu Alias Grace, le dernier Atwood, et deux premiers romans qui ont eu un rayonnement international: le très poétique Fugitive Pieces d'Anne Michaels et l'extraordinaire Fall On Your Knees d'Ann-Marie MacDonald, l'histoire irrésistible d'une famille du Cap Breton, qui figure parmi les best-sellers depuis un an et demi. Le romancier américain John Irving remarquait récemment que la liste des best-sellers de l'an dernier au Canada comportait un nombre inouï d'oeuvres littéraires canadiennes. En plus de ces trois titres, on peut aussi mentionner les romans de Guy Vanderhaeghe, Mavis Gallant, Timothy Findley et, de l'Angleterre, Last Orders de Graham Swift, qui a remporté le prix Booker. «Si l'on compte John le Carré, huit des dix best-sellers dans la liste canadienne des romans sont des oeuvres d'auteurs littéraires», écrit-il, en faisant la comparaison avec les États-Unis, où les auteurs à succès sont les Michael Crichton, Tom Clancy, Danielle Steele, Mary Higgins Clark, Scott Turow, Ken Follet, Stephen King (deux fois) et Tony Hillerman: des auteurs beaucoup plus populaires que littéraires.

Cette année, la tendance canadienne se maintient. Il y a une dizaine de jours, plus de 400 personnes avaient bravé la pluie pour aller écouter Carol Shields et Jane Urquhart, l'auteure de The Underpainter, présenter leurs derniers romans.

Mme Shields respire l'empathie humaniste; elle écrit avec une simplicité désarmante sur les mystères de la vie de tous les jours. «Je m'intéresse aux bases de la vie humaine, a-t-elle dit en entrevue récemment. C'est la seule narration qui m'intéresse vraiment.»

Son dernier roman, Larry's Party, raconte tout simplement l'histoire d'un homme d'un certain âge, né à Winnipeg en 1950, qui devient fleuriste puis designer de labyrinthes, ces puzzles de verdure qui font les merveilles des châteaux et manoirs, et qu'on retrouve même dans les pierres du plancher de la cathédrale de Chartres - symbole des mystères de la vie qui dominent dans ce livre accessible et chaleureux.

La rentrée littéraire se poursuit: cet automne, une brochette d'auteurs font salle comble. En plus de Richler (qui suscite la controverse en flirtant avec la vodka Absolut, commanditaire de la publication d'un extrait de Barney's Wedding dans la revue Saturday Night), Shields et Urquhart, il y a Nico Ricci qui met fin à sa trilogie italo-canadienne avec Where She Has Gone, Carole Corbeil (In the Wings) et Marilyn Bowering (Visible Worlds) qui publient leur deuxième roman, et Lawrence Hill qui lance son premier, Any Known Blood, l'histoire - déjà bien reçue - d'une famille canadienne noire.

Souvent, les tendances canadiennes suivent un leadership américain. Ainsi, un téléroman américain pourra résulter en une imitation canadienne inférieure. L'industrie canadienne du cinéma est en grande partie un sous-produit américain. Ce n'est pas le cas de cette explosion littéraire.

Aux États-Unis, le roman littéraire est en difficulté, et les romanciers s'interrogent sérieusement. Comme le journaliste David Remnick l'a écrit récemment, il n'est plus obligatoire aux États-Unis d'avoir lu le dernier roman littéraire, malgré la qualité des derniers livres de John Updike et Philip Roth, ni de connaître la vision fascinante de jeunes romanciers américains comme David Foster Wallace, Jonathan Franzen et Michael Chabon.

Mais le roman canadien, en pleine croissance, se taille une place aux États-Unis et en Europe. Les éditeurs allemands mettent le cap sur Toronto pour faire signer des contrats à des auteurs canadiens qui se sont trouvé une niche en Allemagne. Le livre d'Anne Michaels y a été vendu à 60 000 exemplaires l'année dernière. Pourquoi cet engouement de lecteurs allemands pour des romans canadiens?

«Les écrivains canadiens ont développé un style qui fait appel aux sensibilités européennes, selon Doris Janssen de la maison d'édition List Verlag à Munich. C'est une voie plus littéraire, moins directe.»

Mais si l'on peut expliquer cet intérêt sur le plan international, d'où vient le phénomène lui-même? Je crois qu'il faut souligner l'intervention du Conseil des arts, qui a patiemment soutenu des artistes canadiens pendant qu'ils apprenaient leur métier de romancier. Il serait tristement ironique que, au moment où la communauté littéraire est en train de développer une masse critique de lecteurs fidèles, l'institution qui a rendu possible cette renaissance subisse des compressions empêchant la prochaine génération de suivre le chemin de ses aînés.