Mihail SEBASTIAN ( Roumanie)

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Message  Invité Mar 24 Nov 2009 - 12:20

L'accident (1940) >> Un roman lumineux et libératoire

Brillant intellectuel au parcours émaillé de crises et ruptures, Mihail Sebastian est un des écrivains roumains majeurs de la première moitié du XXème siècle. A la fin de sa vie, l'homme est usé, désabusé et pourtant, à la veille de sa mort, il produit un roman d'une étrange beauté, un appel à la vie et à la lumière. L'accident raconte en effet une histoire d'amour étrange dans les Carpathes d'une Roumanie au seuil de la guerre, dans cette Europe déliquescente des années trente.

Une histoire où la passion amoureuse est considérée comme une maladie qui ronge l'âme et affaiblit les corps, et qui se soigne selon des potions psychologiques ad hoc.

L'amour faisant perdre le sens des réalités, tel serait le thème principal et les déclinaisons qu'aborde l'auteur dans cet admirable roman. La thématique est vieille comme le monde et d'une actualité jamais démentie : un homme, deux femmes. Paul, avocat, est follement épris d'Anna, peintre célèbre, pour qui il n'est qu'un colifichet temporaire. Un accident de tramway lui fait rencontrer Nora, laquelle tombe amoureuse de lui pour combler d'abord sa solitude, puis pour guérir Paul de sa mélancolie.

Les va-et-vient du sentiment amoureux, tel va être le véritable thème du livre, entre jeux de miroir, dérobade des âmes et des corps, refus de s'engager, appel vers cet idéal amoureux passionnel dégagé de toute réalité charnelle. Entre Anna et Nora, Paul hésite. Pour Anna, qui expose à Bruxelles, il va traverser une Europe en voie de nazification. Pour Nora, il va passer quelques semaines dans les montagnes de Transylvanie où le ski, la neige, les chalets de haute montagne vont, un temps, le guérir de sa passion mortifère. Paul, d'abord sur une réserve qui confine à la maladie, va peu à peu s'ouvrir à la vie, renaître.

Banalité affligeante du sujet pourrait-on penser, choses vues et revues y compris dans les romans de gare ou dans les prix littéraires. Certainement pas car c'est sans compter sur le talent d'écriture de Mihail Sebastian, sa précision clinique et subtile dans la description des sentiments des trois personnages, son analyse pénétrante des êtres en dérive, minés par les échecs amoureux, ces solitudes qui se veulent indépendantes mais qui se croisent et se décroisent. Son écriture d'un érotisme délicat, raffiné, grave finement l'entrelacs délicat des sentiments dans le tissage de la vie. Par de subtils retours en arrière, il évoque douloureusement des jours heureux et la recherche du jardin d'Eden. L'atmosphère d'intimité élégante de ces pages donne une tonalité de vieux film anglais.

Le roman est placé sous le signe de la neige. une neige qui est de plus en plus présente au fur et à mesure que défilent les pages. Une neige étouffante et lumineuse à la fois, qui masque les laideurs, embellit et régénère. Une neige à la fois symbole de mort et de vie. On pense à certaines poésies de Joseph Brodsky (Collines, et autres poèmes), ou à la neige qui envahit la grande plaine d'Irlande dans la nouvelle "The dead" de James Joyce (Gens de Dublin). La neige, pureté absolue et symbole de l'étouffement, avec ses servants discrets que sont les brumes, frimas, froid, qui taraudent les corps et les âmes. La neige est le symbole du froid qui descend sur cette Europe centrale, le froid des idées totalitaires, le froid des sociétés modernes de sur-communication où l'enkystement lent guette.

C'est la mort qui veille, concrétisée dans le roman par la famille Grodeck, gens murés dans les contingences matérielles à qui l'oratorio de Noël de Bach n'arrache ni un sourire, ni une larme, qui font leur devoir sans émotion ni passion. Dans cette neige qui se révélera libératrice via le ski, nul ne veut d'abord dialoguer, chacun reste muré dans ses secrets lourds qui ne s'échappent qu'à demi-mots dans une ambiance claustrale : Nora, Paul, mais aussi le jeune Gunther, l'énigmatique Hagen et même le chien Faffner. Dans une nature magnifique dont on sent l'auteur très proche par ses descriptions magnifiques, voire oniriques, la libération des âmes et la réconciliation avec le monde viendra au jour de l'an 1935 avec le petit ourson tiré de la nuit, qui s'éveille au contact du feu. "La vie recommence toujours" dira Nora. Le roman s'achève sur cette éclosion porteuse d'espoir.

Sebastian surpasse la mélancolie romantique qui lui est attachée dans ce somptueux roman lumineux et libératoire. Une ode à la vie et à l'amour vrai.

Veilleur

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Message  s-lewerentz Mar 24 Nov 2009 - 12:47

Très belle critique, Veilleur ! Je note ce titre.
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