Histoire d'un Allemand (souvenirs 1914-1933) de SEBASTIAN HAFFNER

Ecrit en 1939 et publié à titre posthume en 2000, cette chronique visionnaire d'un journaliste allemand (exilé en 1938 et rentré au pays en 1954) nous éclaire sur la montée du nazisme par le récit d'une expérience personnelle et intime de l' Histoire, d'une clairvoyance inouïe et qui fait froid dans le dos par les parallèles qu'elle nous permet de faire avec ce que nous vivons aujourd'hui.

Ce livre intelligent, et fort bien écrit, se lit avec une grande facilité tout en étant un éclairage brillant et glaçant sur la montée du totalitarisme, sur notre vulnérabilité et notre difficulté à résister à l'endoctrinement et aux phénomènes de masse malgré notre intelligence, notre réflexion et nos éclairs de lucidité.

L'auteur a 7 ans quand éclate la guerre de 14 qui ne changera pas son quotidien, puisque les batailles n'ont pas lieu sur son territoire, mais qui lui permettra de donner libre cours à son imaginaire. La révolution qui suivra aura plus d'impact sur son quotidien mais elle lui laissera une impression de grande confusion. Les corps francs qui la combattront apparaissent comme les précurseurs des nazis à qui ils manquent cependant une théorie, que Hitler leur apportera plus tard.
L'auteur pense que le maintien de la république n'a tenu qu'à la difficulté pour un Allemand à s'opposer à l'autorité (attitude à l'origine de bien des drames).
L'année 23, avec son ambiance apocalyptique (inflation terrible, effondrement des règles, exaltation patriotique) sera, pour lui, le déclencheur du totalitarisme.
Lui succèdera la période de 24 à 29, six années de paix. Pourtant, paradoxalement, la fin des tensions politiques et le retour à la liberté privée, toujours difficile, d'après l'auteur, pour la sensibilité allemande, engendreront pour la plupart des jeunes allemands qui ont grandi dans un monde privé d'habitudes et de traditions, un ennui qui entraînera un attrait morbide pour l'ivresse collective qui se manifestera pour commencer par un engouement forcené pour le sport, prélude à un abrutissement général qui durera trois années pour ensuite laisser la place au réveil des ligues politiques.
Les nazis gagneront peu à peu du terrain. La république deviendra une semi dictature pour empêcher une dictature totale et l'avènement de Hitler, jugé au départ, par une grosse majorité, comme un être répugnant, deviendra peu à peu fascinant. En promettant tout à tout le monde il réveillera les mauvais instincts et le manque d'une opposition forte lui laissera le champ libre.
L'auteur explique comment il vit cette période comme une attente engourdie de l'inéluctable auquel on espère échapper.
Les nazis ne seront au départ pas pris au sérieux, ni par les Allemands, ni ensuite par l'Europe. Et Hitler se retrouvera au pouvoir en toute légalité par la suppression progressive et légale des libertés.
Le 3° Reich est né du dégoût devant la trahison et la faiblesse de l'opposition, de la terreur et de l'ivresse collective.
Plus les nazis ont commencé à se sentir forts et plus ils se sont démasqués et par le principe de l'accoutumance à l'eau chaude avec une eau tiède peu à peu chauffée, les gens ont accepté des situations de plus en plus épouvantables.
En 1933 la majorité des Allemands était encore non nazie mais la résistance collective étant impossible par le manque de partis forts d'opposition et la résistance individuelle étant suicidaire, que pouvait-on faire ?
- se dire que ça n'allait pas durer ?
- renoncer à lutter par amertume ?
- détourner le regard ?
L'auteur choisit cette dernière attitude mais l'abandonna rapidement car elle devint très vite intenable et il partit en exil. Ce n'est pas facile de faire ce choix quand on aime son pays malgré tout. Le patriotisme ne doit pas devenir un narcissisme national.

Avant son exil, Haffner, pour faire plaisir à son père et obtenir son diplôme, dut partir en camp militaire. Cette expérience subie lui fera prendre conscience de la subtilité de l'endoctrinement à travers la mise en place d'une camaraderie qui nie l'individu et la responsabilité personnelle au profit de l'obéissance aveugle du groupe. Et il se laissera prendre comme les autres. Seul le retour à la vie civile lui permettra d'ouvrir les yeux et de choisir l'exil.
Le secret de la réussite du nazisme a été de savoir faire vibrer la fibre profonde du caractère allemand peu doué pour la vie individuelle.

En lisant ce récit, cette expérience toute personnelle, cette Histoire vécue à travers la petite histoire, je me disais que c'était plus parlant pour moi qu'un livre d'Histoire sois disant objectif. Je connais peu l'Histoire contemporaine et ma lecture a été en empathie avec les émotions de Haffner qui ont rejoint mes propres émotions par rapport à ce qu'il a vécu mais aussi par rapport à ce que nous vivons aujourd'hui.

Un coup de coeur

Ce livre m'intéresse; je le note!

Geromino, j'ai aussi grandement apprécié "Une femme à Berlin" et "Seul dans Berlin" de Hans Fallada  

quoique  le premier c'est plutôt la fin de la deuxième guerre........